À moins d’un an du scrutin présidentiel de 2026 au Bénin, les grandes manœuvres ont bel et bien commencé au sein de la majorité présidentielle. Si les regards sont tournés vers Patrice Talon pour connaître celui qu’il désignera ou adoubera comme successeur, l’un de ses plus proches compagnons de route, Joseph Djogbénou, semble vouloir forcer le destin. Une initiative personnelle révélée par Africa Intelligence, qui soulève de vives interrogations sur l’unité de la coalition au pouvoir et l’autorité du chef de l’État.
Un accord de façade vite trahi
Le 28 avril dernier, dans le huis clos feutré de sa résidence privée à Cotonou, Patrice Talon recevait les têtes pensantes de ses deux piliers politiques : l’Union Progressiste Le Renouveau (UPR) conduite par Joseph Djogbénou, et le Bloc Républicain (BR) d’Abdoulaye Bio Tchané. L’objectif était clair : définir les contours d’une méthode concertée pour désigner le futur duo présidentiel et vice-présidentiel en vue de 2026. Le compromis acté semble équilibré : des primaires internes à chaque parti, suivies d’une négociation croisée pour construire un ticket commun, à transmettre à Talon pour validation le 15 août.
Mais à peine la réunion terminée, Joseph Djogbénou s’affranchit du processus collectif. S’appuyant sur un article du règlement intérieur de l’UPR, il s’auto-proclame « candidat naturel » du parti, prenant de vitesse ses concurrents internes, notamment Luc Atrokpo, président de l’ANCB et potentielle figure de relève. Une stratégie unilatérale, en contradiction flagrante avec l’esprit d’union scellé quelques jours plus tôt.
Un conclave à Abomey : la goutte de trop ?
Le coup de force de Djogbénou ne s’arrête pas là. Le samedi 3 mai, dans sa résidence d’Abomey, il réunit discrètement plusieurs membres de la franc-maçonnerie béninoise, sous la houlette du député Florentin Tchaou. Devant ce cénacle confidentiel, il affirme être le premier choix personnel de Patrice Talon pour porter la candidature de la majorité. Un message sans ambiguïté, adressé autant aux initiés présents qu’à ses concurrents internes.
Mais dans un système aussi centralisé que celui du régime Talon, nul n’avance sans risquer le rappel à l’ordre. Dès le lendemain, la réunion est éventée. La liste des participants parvient au palais, tout comme les propos tenus. Le président, qui tient à conserver un contrôle absolu sur le tempo et le profil de sa succession, n’aurait guère goûté cette tentative de court-circuitage orchestrée par celui qu’il avait autrefois placé à la tête de la Cour constitutionnelle, puis soutenu à la tête de l’UPR.
Djogbénou, l’impatient ?
Joseph Djogbénou n’en est pas à son premier coup d’éclat. Intellectuel brillant, homme de droit, rompu aux subtilités institutionnelles, il est aussi réputé pour son ambition dévorante. Mais cette dernière pourrait aujourd’hui nuire à la cohésion de la majorité présidentielle. En tentant de devancer la volonté du président, il pourrait se retrouver en porte-à-faux, voire sacrifié sur l’autel de l’unité politique.
D’autant que dans le camp du BR, la stratégie est toute autre. Conscient de sa propre inéligibilité à cause de la limite d’âge, Abdoulaye Bio Tchané joue la carte de l’orthodoxie : il convoque un congrès statutaire pour désigner son dauphin. Une méthode rigoureuse, qui contraste avec l’approche cavalière de Djogbénou.
Talon, maître des horloges… encore
Ce nouvel épisode révèle surtout une chose : malgré les supputations, les intrigues et les ambitions qui agitent sa majorité, Patrice Talon reste le seul maître du jeu. Il écoutera, observera, consultera mais décidera seul. C’est dans cette logique qu’il a toujours gouverné, plaçant la loyauté et la discrétion au-dessus de l’agitation publique. À ce titre, l’empressement de Joseph Djogbénou pourrait être perçu non comme une démonstration de force, mais comme un signe de faiblesse politique : celui qui précipite sa candidature révèle qu’il ne se sent pas encore adoubé. Et dans le système Talon, cela équivaut à une mise en danger.
En somme, alors que les primaires annoncées s’annoncent cruciales pour l’avenir de la majorité, l’attitude de Joseph Djogbénou apparaît comme une manœuvre précipitée, susceptible de lui aliéner autant ses alliés que son mentor. À moins d’un rétropédalage maîtrisé, l’ancien président de la Cour constitutionnelle pourrait apprendre à ses dépens qu’au Bénin, on ne se désigne pas soi-même héritier d’un système dont on n’est que le dépositaire transitoire.