Au Bénin, il y a dans la déclaration de Michel François Oloutoyé Sodjinou, ce 19 octobre 2025, quelque chose de profondément révélateur au-delà des querelles internes d’un parti : c’est le miroir d’un leadership en bout de course, prisonnier de ses réflexes d’autorité et incapable d’accepter la pluralité qu’il prône à la tribune.
Le nom de Boni Yayi y plane comme une ombre. Une ombre encombrante. Celle d’un homme qui, après avoir marqué dix années de vie nationale, refuse encore de passer le relais autrement qu’à ses fidèles.

L’autorité contre la démocratie

Les faits rapportés par Sodjinou sont graves : fiches de parrainage falsifiées, imposition d’un candidat, exclusion des voix discordantes. Mais au-delà de leur dimension juridique ou partisane, ces faits traduisent une pathologie politique bien connue sous nos latitudes : la confusion entre le chef et l’institution.

Boni Yayi incarne cette figure de chef « providentiel » que l’opposition béninoise a pourtant juré de dépasser.
Le parti Les Démocrates devait être une école de gouvernance alternative, un laboratoire de démocratie interne. Il est en train de devenir (si l’on en croit les témoignages) un théâtre de loyautés imposées, où l’on obéit avant de discuter. Or, un parti qui nie la contradiction au nom de la discipline reproduit, en plus petit, les dérives du pouvoir qu’il prétend combattre.

Le syndrome du “dernier mot”

Boni Yayi n’est pas un novice. Il connaît le poids d’une décision politique et les conséquences d’un faux pas institutionnel. Pourtant, il semble atteint du syndrome du dernier mot , celui de ces leaders qui veulent avoir raison même au prix de la défaite. Imposer Renaud Agbodjo, au détriment d’un consensus, c’était transformer un processus collectif en coup de force personnel.
Résultat : le parti Les Démocrates risque d’être exclu de la présidentielle pour défaut de parrainage, non pas à cause d’un manque de soutien populaire, mais d’une obstination au sommet. C’est le paradoxe de Boni Yayi : il dit aimer le peuple, mais se méfie de ceux qui parlent en son nom. Le même réflexe qui, jadis à la présidence, avait conduit à l’isolement progressif de ses alliés. Aujourd’hui, l’histoire semble se répéter, à l’intérieur même du parti censé incarner sa renaissance politique.

Une génération étouffée

Ce qui se joue entre Sodjinou et Yayi dépasse un simple désaccord électoral. C’est le conflit entre deux générations de l’opposition : celle qui a vécu le pouvoir, et celle qui veut le réinventer. Les jeunes cadres comme Renaud Agbodjo, malgré leur loyauté, apparaissent pris au piège d’un système où le mérite s’efface devant la filiation et la proximité. À force de vouloir tout contrôler, Boni Yayi empêche ses héritiers politiques d’exister autrement qu’à travers lui. Et c’est là son drame : il fabrique des disciples, pas des successeurs. Des suiveurs, pas des bâtisseurs.

Un parti en péril, une leçon pour tous

Ce qui menace Les Démocrates, ce n’est pas la CENA, ni le pouvoir en place. C’est l’incapacité à faire confiance à l’intelligence collective. La démocratie interne n’est pas une faiblesse , c’est le premier test de la sincérité politique. Et de ce test, le parti sort pour l’instant affaibli. Boni Yayi doit comprendre qu’à un moment donné, le charisme ne suffit plus. Le Bénin est entré dans une ère où l’opinion pèse plus que les réseaux, où la crédibilité institutionnelle vaut mieux que la popularité d’antan. S’il ne change pas de posture, il risque de devenir ce que tous les anciens présidents redoutent : une légende respectée, mais politiquement dépassée.

La démocratie commence chez soi

Michel Sodjinou n’est pas exempt de calculs, et sa sortie n’est pas innocente. Mais elle a le mérite de poser la bonne question : Comment un parti peut-il prétendre défendre la démocratie nationale s’il n’applique pas la démocratie en son sein ? En cela, cette crise n’est pas seulement celle des Démocrates. Elle est celle de toute la classe politique béninoise, encore marquée par le culte du chef et la peur du débat contradictoire.

Le véritable défi de l’opposition n’est pas d’affronter le pouvoir, mais de s’affranchir de ses propres fantômes.