La ministre tunisienne de la Justice, Leila Jaffal, a défendu devant le Parlement le recours aux procès par visioconférence, qualifiant cette pratique de « réussite » et affirmant que « l’intime conviction du juge reste préservée ». Cette déclaration intervient alors que magistrats, avocats et organisations de la société civile dénoncent un durcissement sécuritaire et un recul progressif des garanties judiciaires dans le pays.

S’adressant à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et au Conseil national des régions et des districts (CNRD) réunis en séance commune pour examiner le budget 2026 de son ministère, Leila Jaffal a insisté sur la nécessité de trouver un « équilibre » entre l’application de la loi et le respect des libertés individuelles. Selon elle, les audiences à distance, introduites pendant la pandémie de Covid-19 et désormais permanentes, sont opérationnelles dans 21 tribunaux de première instance, 12 cours d’appel et 11 établissements pénitentiaires, sans compromettre « l’indépendance ni l’objectivité » des décisions judiciaires.

Pourtant, sur le terrain, des avocats dénoncent la fiabilité technique limitée du dispositif et un usage accru dans des affaires à caractère politique. Le ministère indique que 5 914 détenus ont été jugés à distance depuis 2020 « sans aucune contestation », alors que plusieurs ONG soulignent des difficultés d’accès aux dossiers et un manque de confidentialité dans les échanges entre prévenus et avocats.

La ministre a également justifié l’usage massif de la détention préventive, dont les délais – six mois renouvelables deux fois – seraient « raisonnables » et réservés aux affaires graves. Cette position contraste avec l’avis de nombreux juristes, pour qui la détention préventive est devenue un instrument de pression, notamment dans des dossiers liés à la « sûreté de l’État », aux accusations de « complot » ou à la « diffusion de fausses informations ».

Sur le plan carcéral, Leila Jaffal a présenté des projets de rénovation de plusieurs prisons, tout en limitant l’accès aux peines alternatives. Selon elle, le travail d’intérêt général ne peut être appliqué qu’avec le consentement du prévenu et reste exclu pour de larges catégories de détenus, comme ceux incarcérés pour vol, qui représentent plus de 7 000 personnes.

Cette défense de la digitalisation de la justice s’inscrit dans un contexte de fortes tensions politiques. Depuis 2021, la concentration des pouvoirs autour du président Kaïs Saïed, l’exclusion de l’opposition et l’arrestation de personnalités publiques ont provoqué de vives critiques en Tunisie et à l’international. Pour une partie de la société civile, l’accent mis sur la modernisation des procédures vise surtout à masquer un durcissement autoritaire et un affaiblissement continu des garanties d’un procès équitable.